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Diminution des pesticides ne signifie pas diminution des rendements, au contraire !

Solagro a organisé un webinaire pour présenter les résultats de travaux de recherche menés par l'équipe de Vincent Bretagnolle et Sabrina Gaba, sur la zone Atelier Plaine & Val de Sèvre*. Les résultats permettent de conclure notamment qu'il n'y a pas de lien de cause à effet entre l'utilisation des herbicides et le rendement de blé et que les marges brutes sont plus importantes en bio. Ils apportent de nombreux enseignements éprouvés scientifiquement qui déconstruisent certaines idées reçues.

 

Les herbicides ne permettent pas d'augmenter les rendements en blé

Un suivi sur 150 parcelles de blé en conventionnel (5 parcelles chez 30 exploitations) sur la zone Atelier, a permis d'étudier la relation entre l'utilisation des herbicides (en g/ha) et les rendements en blé (moyenne 60 q/ha). Les résultats permettent de conclure qu'il n'y a pas de lien de cause à effet entre l'utilisation des herbicides et le rendement de blé. En effet, il n'y a pas de relation entre l'abondance de plantes adventices (suivies au mois de mai) et la dose en herbicides appliquée, de même entre le rendement et l'abondance de plantes adventices1.

 

Les mêmes suivis ont été faits sur le colza, sur 400 parcelles entre 2013 et 2019. Ni l'utilisation des insecticides, ni l'utilisation des herbicides ne modifie le rendement du colza. Par contre, cela a un effet négatif sur les marges brutes. En effet, une plus grande utilisation des herbicides et des insecticides augmente les charges mais pas les rendements.

 

Suite à ces résultats, une expérimentation a été mise en place avec et pour les agriculteurs dès 2012 sur 56 parcelles de blé. Sur chacune, un dispositif croisé incluait une micro-parcelle sans culture, une avec réduction d'azote et une avec réduction d'herbicide. Les suivis ont été réalisé sur la flore adventice, sur l'azote dans le sol et dans les plantes, sur les rendements.

Les résultats sur 2013 et 2014 montrent que la simple présence du blé diminue de 77% la biomasse d'adventices. L'ajout des herbicides n'en supprime que 8% supplémentaire. Les herbicides ne jouent donc que sur une petite fraction résiduelle de la flore adventice une fois que celle-ci a été très largement supprimée par l'implantation du blé.

 

Webinaire - Préserver la biodiversité dans les parcelles pour sortir des pesticides – 25/03/2022 from Solagro on Vimeo.

 

Des marges brutes plus importantes en bio

Une comparaison des résultats entre système en bio et en conventionnel montre que la marge brute finale est plus faible chez les agriculteurs en conventionnel. Sur la base de ces expérimentations il semble donc optimal pour les agriculteurs conventionnels de diminuer leurs apports de 50 kgN/ha l'apport d'azote et de 30 à 40% l'utilisation d'herbicides pour optimiser leur marge. Cette analyse a été généralisée à d'autres cultures qui confirment ces résultats sur la même zone d'étude. 

 

Remplacer les herbicides par la biodiversité

Seulement, avec l'arrêt des herbicides préconisé, il est nécessaire de trouver un moyen de contrôler la banque de semences de la flore d'adventices. Pour cela, il y a les alouettes des champs, qui se nourrissent en hiver quasi exclusivement de graines d'adventice, allant de 4200 à 5600 graines par jour et par alouette.

Sur la zone Atelier (500 km²), il y a entre 500 000 à 1 millions d'alouettes des champs en hiver, qui seraient donc capables de contrôler 30 à 50% de la production de graines d'adventices sur une année. Un suivi de la densité de graines par mètre carré suite à des prélèvements par carottage de la banque de graines sur des parcelles de 5 types de cultures (prairies, chaumes de céréales, luzerne, colza et céréales), montre une diminution de près de 90% de ces graines d'adventices, due essentiellement à la présence de l'alouette des champs et des carabes sur la période hivernale.

 

Les céréales n'ont pas été les seules cultures étudiées du point de vue du rôle de la biodiversité sur cette Zone Atelier. Ainsi, une comparaison des rendements de colza et de tournesol avec peu ou beaucoup de pollinisateurs montre qu'il peut y avoir une augmentation de 30 à 40% des rendements2,3, soit 110€/ha d'augmentation en moyenne quand les pollinisateurs sont plus nombreux et diversifiés.

 

Analyses empiriques entre l'usage d'herbicides et les rendements
150 parcelles de blé - 30 agriculteurs et 5 parcelles/agriculteur - Enquêtes et relevés de flore réalisés en 2007

 

Une réponse aux craintes économiques face au changement

Tous ces résultats démontrent que diminuer ses intrants permet d'augmenter les pollinisateurs, de ne pas impacter les rendements voire même de les augmenter et d'augmenter les marges brutes. Un autre modèle agricole est donc possible, vers un système agroécologique valorisant la biodiversité et à faible usage de pesticides, mais il se confronte à de multiples freins au changement dont celui du coût des pratiques à mettre en place et de l'aversion au risque (économique, lié à la perte de production ou adventices).

 

 

Pour lever ces freins, une expérimentation a été menée en Italie pour créer un fond commun appelé « assurance récolte » auquel contribue chaque agriculteur suite à une préconisation de réduire l'utilisation de certains pesticides (néonicotinoïdes). La contribution est de 3 à 5 euros par hectare, soit 7 à 10 fois moins que le coût d'un traitement. Ce modèle d'assurance mutualiste a permis d'assurer environ 40 000 hectares via ce fond. Et les résultats ont été très encourageants, car les demandes d'indemnisation n'ont finalement concerné que 1% des terres. Selon une enquête menée au bout de deux ans, 50% des agriculteurs avaient effectué des changements dans leur façon de faire, mais la quantité d'insecticides utilisée dans les champs avait diminué de seulement 10%. Cette faible réduction s'explique par le fait que les conseillers techniques continuaient de prôner l'utilisation de pesticides.
Ce modèle d'assurance récolte mutualiste permet de sécuriser la baisse de l'utilisation des pesticides auprès des agriculteurs et donc de limiter le frein d'aversion au risque.

 

Un autre levier pour favoriser ce changement de modèle est l'accompagnement des conseillers agricoles pour des pratiques alternatives aux pesticides, afin de conforter les agriculteurs dans leur transition agroécologique. Cet accompagnement peut se matérialiser par des formations mais aussi la création de plateformes ressources qui recensent les différentes méthodes, alternatives aux pesticides. Herbea, en est une qui présente les pratiques de lutte biologique par conservation et gestion des habitats. Des formations et une fiche certificat d'économies de produits phytosanitaires (CEPP) associées à cette plateforme sont également proposées.

 

*La zone Atelier Plaine & Val de Sèvre est un laboratoire expérimental à ciel ouvert dédié, depuis près de 30 ans, à la transformation agroécologique. Cette zone est située entre la forêt de Chizé au Sud avec le laboratoire, et la ville de Niort au Nord. Cette zone Atelier a été créée en 1994, et labellisée depuis 2009. Elle s'étend sur 450 km2, comprend environ 435 exploitations, 24 communes et 34 000 habitants. On y trouve de l'agriculture biologique qui représente 20% de la SAU, mais aussi de l'agriculture de conservation des sols, de l'agriculture de précision, de l'agriculture conventionnelle et un tout petit peu de permaculture.

 

 

Références

1. Gaba, S., Gabriel, E., Chadœuf, J., Bonneu, F. & Bretagnolle, V. Herbicides do not ensure for higher wheat yield, but eliminate rare plant species. Sci. Rep. 6, 30112 (2016).

2. Perrot, T. et al. Experimental quantification of insect pollination on sunflower yield, reconciling plant and field scale estimates. Basic Appl. Ecol. 34, 75–84 (2019).

3. Catarino, R., Bretagnolle, V., Perrot, T., Vialloux, F. & Gaba, S. Bee pollination outperforms pesticides for oilseed crop production and profitability. Proc. R. Soc. B Biol. Sci. 286, 20191550 (2019)